
07 Sep Travail forcé et chaîne d'approvisionnement
Le 21 juin dernier, le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (CBP) a commencé à appliquer la loi sur la prévention du travail forcé des Ouïghours (UFLPA). L'importation de biens fabriqués par le travail forcé est illégale depuis un certain temps aux États-Unis, et cette nouvelle loi étend le champ d'action du CBP pour bloquer l'importation de biens fabriqués par le travail forcé.
Dans le passé, le CBP émettait des "ordres de retenue de la mainlevée" et des "conclusions" sur les importations provenant d'entreprises et/ou de pays spécifiques, lorsqu'il existait un soupçon raisonnable de détenir les marchandises. L'importateur disposait alors de 30 jours pour démontrer que le produit n'avait pas été fabriqué en recourant au travail forcé.
En vertu de la nouvelle loi, le CBP pourra retenir ou saisir toutes les marchandises fabriquées, en tout ou en partie, avec des intrants provenant de la région chinoise du Xinjiang Uyghur, en présumant qu'elles ont été fabriquées en recourant au travail forcé. Les importateurs disposeront de 30 jours pour démontrer que les marchandises n'ont pas été fabriquées en recourant au travail forcé ou qu'elles ne contenaient pas d'intrants provenant de la région du Xinjiang.
Importateurs à risque
Par la suite, certaines entreprises situées dans cette région ou à l'extérieur de celle-ci seront spécifiquement désignées dans la loi. Cela pourrait aider les importateurs, mais comme l'interdiction s'applique aux marchandises fabriquées en totalité ou en partie et à des entreprises situées ou non dans la province du Xinjiang, les importateurs américains de produits provenant de n'importe où dans le monde courent un risque.
Les matériaux provenant du Xinjiang peuvent également être utilisés pour fabriquer des produits en dehors de la Chine. Les importateurs doivent donc faire preuve d'une diligence raisonnable documentée à l'égard de leurs fournisseurs et être en mesure de prouver l'absence d'éléments de travail forcé dans leurs importations. Les risques de retards, de perturbations et de coûts supplémentaires, y compris de pénalités, ont donc augmenté. Il s'agit là d'un autre exemple de la portée extraterritoriale des lois américaines.
Cette nouvelle loi souligne également l'importance des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance et leur impact sur la gestion de la chaîne d'approvisionnement. La diversification des sources d'approvisionnement est essentielle à la réussite des stratégies d'achat pour atténuer les risques de perturbation, mais elle s'accompagne de la nécessité de mettre en place des processus de conformité internes solides.
Les examens réglementaires doivent désormais inclure le travail forcé, non seulement d'un point de vue canadien, mais aussi en étant pleinement conscients de ce qui se passe aux États-Unis, la première destination de nos exportations. Et comme la grande majorité de nos exportations sont effectuées sous l'Incoterm DDP (ou le terme UCC, FOB Destination) et que l'exportateur canadien devient l'importateur officiel aux États-Unis, de nombreuses entreprises canadiennes en sont responsables.
Cette nouvelle loi pourrait également nous rappeler que les États-Unis interdisent depuis longtemps l'importation de coton en provenance du Turkménistan en raison de l'existence d'un système d'esclavage imposé par l'État dans ce pays d'Asie centrale, de sorte que la Chine n'est pas la seule origine à surveiller. Le message adressé aux importateurs/exportateurs canadiens est donc le suivant : Gardez l'œil ouvert !
Le Canada à la traîne
Le Canada est perçu par nos voisins américains comme étant à la traîne. La CUSMA contient des dispositions relatives au travail et à la protection de l'environnement, qui prévoient notamment l'interdiction de l'entrée de biens produits par le travail forcé. À la suite de la mise en œuvre de notre nouvel accord commercial nord-américain en 2020, nous avons modifié notre loi sur le tarif douanier afin d'interdire les importations de produits issus du travail forcé, mais le Canada n'a pas encore mis fin à une seule de ces importations.
En octobre 2021, l'ASFC a saisi une cargaison de vêtements en provenance de Chine dans le port de Montréal, mais elle a été libérée par la suite après que l'importateur a contesté la saisie. À titre de comparaison, en 2021, les États-Unis ont saisi plus de 1 400 cargaisons de marchandises fabriquées par le travail forcé en provenance de Chine et d'autres pays.
Les détracteurs de la situation au Canada se réfèrent également à une étude australienne de 2018 intitulée Global Slavery Index, qui estimait que $185 milliards de biens importés au Canada risquaient d'être fabriqués par le travail forcé à un moment ou à un autre de la chaîne d'approvisionnement.
De l'autre côté de l'Atlantique, l'Union européenne a lancé en juin une consultation publique sur sa proposition de règlement qui interdirait la mise à disposition sur le marché de l'UE de tout produit fabriqué, extrait ou récolté au moyen du travail forcé, qu'il soit fabriqué dans l'UE ou ailleurs. L'approche de l'UE est différente de celle des États-Unis. En raison des différences juridiques entre les pays de l'UE, l'Union ne vise pas directement l'entrée de ces produits, mais interdira leur mise sur le marché européen. Cette interdiction est prévue pour le troisième trimestre 2022.
Parfois, cependant, il y a de bonnes nouvelles et les choses peuvent s'arranger. Lors d'une réunion entre le ministre canadien du commerce international et le représentant américain du commerce en juillet, il a été annoncé que les droits de douane de l'ère Trump sur les produits solaires fabriqués au Canada seraient supprimés. Ces droits avaient été imposés en 2018, entraînant une baisse de 82 % de nos exportations de produits solaires vers les États-Unis. En février, un groupe spécial de règlement des différends de la CUSMA a estimé que les États-Unis ne respectaient pas les obligations qui leur incombent en vertu de notre accord de libre-échange.
Alors que la gestion de la chaîne d'approvisionnement devient de plus en plus complexe, ces bonnes nouvelles sont toujours les bienvenues.